Le Conseil National de la Protection de l’Enfance (CNPE), institué par la loi du 14 mars 2016, traverse une zone de turbulences qui pourrait fragiliser son avenir. En cause, les initiatives médiatiques prises en cette rentrée 2018 par sa vice-présidente, qui ont provoqué de nombreuses réactions dans le secteur, en particulier au sein du Conseil lui-même.

Les réactions avaient commencé à poindre au mois de septembre à la suite de la parution du livre “Le massacre des innocents : les oubliés de la République” (Ed. Amazon) co-écrit par Michèle Créoff, vice-présidente du CNPE, et la journaliste Françoise Laborde. Au-delà de son titre, il est vrai particulièrement provocateur, c’est l’angle d’attaque de l’ouvrage qui a suscité le plus de réactions. Et notamment le propos introductif repris dans la plupart des communiqués et articles de presse : “Pour des raisons culturelles, idéologiques, historiques, la France n’est pas le pays de l’enfant roi… C’est le pays de l’indifférence aux enfants martyrs. (…). Il y a aujourd’hui en France chaque semaine, 2 enfants qui meurent sous les coups et les tortures de leurs parents. Et ce en dépit souvent de la connaissance et de l’identification de ces maltraitances par les services sociaux, les voisins, les juges, qui tous maintiennent ces enfants chez leurs bourreaux (…)”. Dans une tribune publiée dans le Journal des Acteurs Sociaux, Claude Roméo, spécialiste de la protection de l’enfance et auteur de plusieurs ouvrages, avait par exemple exprimé son profond désaccord sur la démarche et le contenu de l’ouvrage (voir JAS n° 230 sur www.lejas.com).

Mais c’est avec la pétition éponyme que les auteures ont lancée le 21 octobre dans le sillage de leur ouvrage (“Les enfants, oubliés de la République” : www.change.org), que le vase semble avoir débordé. Si celle-ci a suscité l’intérêt de nombreux médias et la signature de diverses personnalités de la sphère médiatique (Elisabeth Badinter, Florence Foresti, Nagui, Adil Rami, Melissa Theuriau…), pour plusieurs membres du CNPE une ligne rouge semble avoir été franchie.

Première à réagir, l’Organisation Nationale des Educateurs Spécialisés (ONES) déclarait dans un communiqué du 23 octobre que “l’absence de neutralité et la prise de position hautement contestable d’une personne censée être garante de la bonne tenue des débats et de l’expression des différentes sensibilités des membres du CNPE est un problème de fond qui nuit à la sérénité, à la rigueur et à l’avancement de la réflexion que nous pouvons attendre d’une telle instance. En conséquence, “l’ONES a pris la décision de se retirer du CNPE tant qu’un nécessaire travail de refondation n’aura pas eu lieu pour repartir sur de nouvelles bases”.

La Cnape a également réagi sans attendre avec un courrier adressé le 24 octobre à Agnès Buzyn, ministre en charge de la protection de l’enfance. L’importante fédération d’associations qu’est la Cnape y fait part de son désaccord avec la démarche de Michèle Créoff qui risque d’avoir “un effet démobilisateur en accablant une nouvelle fois les professionnels qui, pour la plupart, s’investissent au quotidien et exercent leur métier en toute conscience des enjeux pour les enfants”. La Fédération y exprime aussi son trouble face à “des propositions d’amélioration formulées (par les auteures) dont la plupart sont déjà contenues dans notre droit. La question n’est pas ou n’est plus l’insuffisance de la loi, mais son appropriation et sa bonne application. C’est bien là que se situe notre défi collectif, et celui en particulier du Conseil National de la Protection de l’Enfance tel qu’il a été conçu par le législateur”. Enfin, “le plus contestable, du point de vue de la Cnape, est que la vice-présidente de cette instance mène une telle campagne médiatique, faisant mention de son titre, laissant penser que le CNPE est partie prenante, alors qu’il n’a pas été consulté, ni informé en amont, avant que les membres ne soient destinataires d’une invitation à soutenir l’initiative et à signer une pétition. Cette démarche ne correspond pas à l’idée que nous nous faisions d’un tel mandat qui est exigeant en termes d’image, de représentation, de portage politique”. La CNAPE conclut sa missive en affirmant que sa participation au CNPE est posée. Le Conseil d’administration devrait en décider le 14 décembre prochain.

On sait que du côté de l’Uniopss le trouble est également grand, puisque Jean-Pierre Rosencsveig, représentant l’Union au CNPE, avait été l’un des premiers à réagir dans un courrier adressé à Michèle Créoff (repris pour l’essentiel dans un article qu’il signe sur son blog : jprosen.blog.lemonde.fr), exprimant une franche désapprobation concernant la démarche, le caractère aléatoire d’un certain nombre d’assertions chiffrées figurant dans la pétition, et “l’approche misérabiliste et réductrice des efforts déployés par l’Aide sociale à l’enfance”.

Il faut néanmoins noter que tous les membres du Conseil ne sont pas sur la même ligne puisque deux d’entre eux, et pas des moindres, ont signé la pétition : Jean-Marie Muller, président de la Fédération nationale des Adepape, et Lyes Louffok, auteur de “Dans l’enfer des foyers” (ed. J’ai lu). De même, que l’ancienne ministre des familles et de l’enfance, Laurence Rossignol, qui sur son compte Twitter explique : “J’ai signé cette pétition pour que l’État assume ses responsabilités en matière de protection de l’enfance et que les décisions prises en 2016 soient suivies et mises en place”…

Sans omettre, que côté grand public les échos sont plutôt favorables à la démarche comme en témoignent notamment les réactions sur Twitter avec le #massacredesinnocents. C’est toute la complexité de ce coup médiatique : qui pourrait être contre une meilleure visibilité et prise en compte de la cause de l’enfance maltraitée ?

D’ailleurs du côté de la ministre des Solidarités, Agnès Buzyn, point de réaction directe sur cette “affaire” pour le moment, mais une sortie médiatique tout de même pour rappeler qu’elle travaille sur le sujet. Dans le magazine Elle paru le 2 novembre, elle affirme : « Il faut sortir d’une vision idyllique de la famille (…). Il y a (…) une part de déni. La très grande majorité des enfants qui meurent aujourd’hui du fait de violences sont tués au sein du cercle familial. Il faut oser le dire et sortir d’une vision idyllique de la famille. Toutes ne sont pas bien-traitantes. C’est une réalité inacceptable, mais c’est la réalité”. Elle ajoute que pour « trouver les bons leviers d’action », le gouvernement a besoin de statistiques plus fiables en matière de violences sur les enfants. Selon elle, l’accent doit également être mis sur la formation des professionnels, « aussi bien pour prendre en charge que pour repérer les enfants en danger ». Enfin, elle annonce que sa « stratégie de protection de l’enfance » attendue initialement pour le mois de mai, sera connue d’ici la fin du mois de novembre. Sans nul doute il devrait y être question du CNPE… À suivre.