328 000 enfants bénéficiaient d’une mesure de protection fin 2018, soit 12% de plus qu’en 2009. Les départements ont financé 8 Md€ sur les 8,4 Md€ consacrés cette même année à la protection de l’enfance. Le cadre législatif de cette politique a été renforcé en 2016 mais son organisation demeure complexe et son pilotage défaillant, tant au niveau national que local,
ce qui aboutit à un décalage entre sa mise en Å“uvre et la prise en compte effective des besoins de l’enfant. Pour y remédier, la Cour formule dix recommandations visant à repenser le parcours de l’enfant, à améliorer le pilotage national et local, et à renforcer
la réactivité des acteurs locaux.
Une politique publique en décalage avec les besoins des enfants
La décision en matière de protection de l’enfance se caractérise par un empilement de délais, qui retarde le moment de la prise en charge. De plus, le parcours des enfants protégés est fréquemment marqué par une succession de ruptures, qui traduisent la difficulté à élaborer une solution adaptée à leurs besoins. Instauré en 2007 et renforcé en 2016, le « projet pour l’enfant », censé garantir les bonnes conditions d’une mesure de protection, se heurte dans la pratique à de nombreux écueils. Son application est inégale sur le territoire, ses délais d’élaboration ne sont pas respectés et la méthodologie retenue ne prend pas en compte le moyen et long terme. En effet, les mesures prononcées sont toujours provisoires, afin de préserver la possibilité d’un retour dans la famille, même dans les cas où les défaillances des parents sont durables. Cette situation crée une insécurité préjudiciable à l’enfant. La relation avec les parents doit donc être clarifiée. L’avenir des enfants protégés doit également être mieux préparé. L’âge de la majorité représente souvent un couperet, ce qui limite l’investissement en termes d’études, de formation professionnelle et d’insertion. Il apparaît indispensable d’organiser un entretien systématique avant 16 ans, de favoriser les parcours de formation et d’insertion au-delà de 18 ans, et de prolonger, si besoin, la prise en charge au-delà de 21 ans. Enfin, le devenir des jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance est très peu suivi, et donc mal connu, ce qui nuit à l’évaluation et à l’adaptation des politiques menées.
Un pilotage défaillant et des ambitions législatives non concrétisées
Si la politique de protection de l’enfance dispose d’un cadre législatif et réglementaire rénové et ambitieux, sa mise en oeuvre demeure toutefois très partielle, voire inexistante. Le pilotage est défaillant en raison de la complexité de son organisation et de la confusion des missions entre les différents acteurs : direction générale de la cohésion sociale (DGCS), conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), groupement d’intérêt public (GIP) Enfance en danger, Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge. Une simplification est nécessaire au niveau national : elle consisterait à conforter le rôle de coordonnateur interministériel de la DGCS, supprimer le CNPE, renforcer le rôle du GIP Enfance en danger sur les missions d’animation de la recherche et des réseaux, et confier à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques la mission exclusive de production de données sur la protection de l’enfance. Au niveau local, la coordination entre le département chef de file de cette politique et les services judiciaires est trop informelle, tandis que celle des services déconcentrés de l’État est inexistante, de sorte que la complémentarité avec les politiques de santé ou d’éducation n’est pas assurée. Une coordination stratégique des services de l’Etat devrait donc être instaurée sous l’égide du préfet de département.
Une réactivité insuffisante des acteurs locaux
La mise en oeuvre opérationnelle de la politique de protection de l’enfance repose sur les services départementaux et les opérateurs publics ou privés qui accompagnent au quotidien les enfants. Or les choix d’organisation des départements en matière d’aide sociale à l’enfance sont très hétérogènes et rarement fondés sur l’analyse des besoins. Quant aux opérateurs, ils sont fréquemment fragilisés par des questions de gouvernance. Les mutations de ce secteur, majoritairement associatif, doivent être encouragées, dans le but de renforcer sa faculté d’adaptation. Par ailleurs, la capacité des départements à contrôler et évaluer les établissements et services de leur territoire est insuffisante, ce qui représente un risque en termes de qualité des prestations. Il faut sécuriser davantage la prise en charge des mineurs protégés, en alignant la durée des autorisations de places sur les échéances de l’évaluation externe, renforçant les dispositifs de contrôle et généralisant la contractualisation pluriannuelle sur les objectifs et les moyens.