Le fléau longtemps tu des violences sexuelles faites aux enfants concerneraient 160 000 enfants chaque année.
Il y a un an, le 23 janvier 2021, le président de la République annonçait la création d’une commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), dans le sillage, notamment, du coup de tonnerre provoqué par la sortie du livre de Camille Kouchner “La familia grande” mettant en cause le célèbre intellectuel parisien Olivier Duhamel.
Le 11 mars 2021, la Ciivise était installée par le secrétaire d’Etat chargé de la famille et de la protection de l’enfance pour une durée de deux ans, avec à sa tête une co-présidence de choc : le célèbre magistrat Edouard Durand et la très respectée Nathalie Mathieu directrice générale de l’association Docteurs Bru. Leur mission : formuler des recommandations pour mieux prévenir les violences sexuelles, mieux protéger les enfants victimes et lutter contre l’impunité des agresseurs.
Leur priorité pour atteindre ces objectifs : écouter et entendre les victimes.
Force est de constater qu’ils n’ont pas chômé. Au mois de septembre ils lançaient un appel à témoignages et une plateforme téléphonique d’écoute, et entamaient, dans la foulée, un cycle de rencontres dans diverses métropoles régionales destinées elles aussi à recueillir les témoignages de victimes. Des rencontres publiques ouvertes à tous, victimes, proches de victimes, acteurs de la protection de l’enfance du territoire, en complément des auditions individuelles d’experts et de victimes également organisées par l’équipe.
Le 17 novembre, la Ciivise présentait les premiers enseignements de ces actions lors d’un colloque intitulé : “Violences sexuelles faites aux enfants : pour une culture de la protection”.
En l’espace de huit semaines, 6 200 témoignages avaient été reçus. Un premier bilan important sans qu’il soit possible cependant de déterminer combien de situations différentes recouvre ce chiffre. “Il se peut que des personnes aient à la fois écrit, appelé, et répondu à des questionnaires”, précisait l’instance.
Dans le détail, 1 200 appels ont été reçus par les écoutantes spécialisées de la plateforme téléphonique (accessible au 0-805-802-804 pour la métropole et au 0-800-100-811 depuis l’outre-mer), 1 200 courriers et e-mails ont été envoyés, et 3 800 questionnaires, accessibles sur le site Internet de la Ciivise, ont été remplis.
L’analyse de ces 3 800 questionnaires a permis à la Ciivise de dresser un profil des victimes témoignant d’agressions sexuelles durant leur enfance. Ainsi, il s’agit de femmes dans 9 cas sur 10, dont la moyenne d’âge s’élève à 44 ans. “80 % des répondants aux questionnaires ont été victimes de violences sexuelles dans la famille, 20% dans l’entourage, 10 % dans les institutions et 7 % dans l’espace public”, a détaillé la Ciivise, en précisant que les répondants peuvent renseigner plusieurs types de violences. Par ailleurs, le bilan montre que 13 % des victimes sont en situation de handicap.
Lors de cette journée de colloque, la Ciivise a également mis l’accent sur le fait que, contrairement aux idées reçues, le problème n’est pas que les victimes ne parlent pas, mais plutôt qu’elles ne trouvent pas face à elles, les interlocuteurs prêts à les entendre. “Moi j’ai toujours parlé mais on ne m’entendait pas ”, a par exemple déclaré une victime (voir aussi notre nouvelle rubrique “La parole se libère” page 52 du BPE,  numéro 124-127 ). En effet, la commission a mis en lumière le fait que 9 victimes sur 10 avaient déjà parlé des violences qu’elles ont subies avant de témoigner auprès de la commission. Quant à celles qui n’avaient jamais parlé, 1 sur 2 dit l’avoir caché par honte et sentiment de culpabilité. Cependant elle a aussi rapporté que 7 victimes sur 10 ont témoigné plus de 10 ans après les faits, et pour 4 victimes sur 10 qui ont révélé ces violences, le témoignage n’a été suivi d’aucune action par le confident. La Ciivise a souligné l’importance d’intervenir rapidement quand un enfant se dévoile car un enfant qui révèle des violences et qui n’est pas protégé immédiatement peut perdre une confiance totale dans le monde des adultes et peut avoir des répercussions tout au long de sa vie.   Le repérage précoce était également l’un des thèmes majeurs de ce colloque. En effet, pour protéger au mieux les enfants la Ciivise plaide pour un renfort de ce qu’elle appelle la culture de la protection, c’est-à-dire cesser d’attendre passivement que les enfants révèlent ce qu’ils ont subi, repérer davantage les enfants victimes de ces violences. Ce qui passe notamment par une plus large formation des adultes en lien avec eux. Le repérage précoce est un sujet crucial puisque 9 victimes sur 10 déclarent que les violences sexuelles ont eu un impact négatif sur leur confiance en eux et sur leur santé psychologique tandis qu’1 victime sur 3 rapporte avoir fait une tentative de suicide.   Les conséquences de ces violences sont nombreuses et ne s’arrêtent évidemment pas là. Et la commission évoque notamment les effets sur la vie sexuelle et rapporte qu’1 victime sur 3 n’a aucune vie sexuelle. Par ailleurs, ces victimes semblent être par la suite plus vulnérables de manière générale aux violences, puisque 6 femmes sur 10 et 4 hommes sur 10 ont subi d’autres types de violences. La journée était donc très riche en données qui viennent confirmer l’ampleur des faits de violences sexuelles, et la gravité des conséquences traumatiques qu’elles engendrent. La Ciivise a conclu en appelant à déconstruire les discours anti-victimaires qui cautionnent le déni au profit d’une valorisation massive des pratiques professionnelles protectrices.   En savoir plus :  www.ciivise.fr