.cc.Dans le champ de la protection de l’enfance, différents vocables ont été utilisés au fil des décennies pour caractériser ces enfants et ces adolescents mettant les institutions et les professionnels en grande difficulté : enfants«à difficultés multiples», «difficiles», «incasables», «borderline», et aujourd’hui «enfants en situation complexe».

Ces situations difficiles à cerner et à accompagner mobilisent beaucoup de moyens et d’énergie de la part des équipes sans toujours donner le sentiment d’une réponse adaptée aux besoins de ces enfants qui font souvent l’objet de réorientations successives, créant ainsi des ruptures supplémentaires dans des parcours déjà complexes.

Qui sont-ils ? Quelles réalités recouvre exacte- ment cette désignation aujourd’hui très répandue dans notre secteur ? Quelles modalités d’accompagnement leur proposer ? Comment mieux soutenir les équipes dans leur travail au quotidien auprès de ces enfants et jeunes en grande souffrance ? C’est ce chantier que l’association SOS Villages d’Enfants a initié en 2020 à partir d’un état des lieux réalisé auprès de l’ensemble de ses villages d’enfants et établissements et qui permet aujourd’hui de cerner plus précisément ces situations, de formuler des hypothèses quant à la difficulté à répondre aux besoins spécifiques de ces enfants, et d’envisager de nouvel- les pistes de travail pour les accompagner autrement.

Situations  Complexes  :  Des parchemins  à  déchiffrer

DES ENFANTS PLUS EN DIFFICULTÉ QUE LES AUTRES ENFANTS ACCUEILLIS

Comme de nombreux établissements d’accueil, les villages d’enfants sont concernés par la problématique des enfants dits « en situation complexe ». Les équipes décrivent des situations d’enfants plus en difficulté que les autres enfants accueillis, manifestant des comportements difficiles à décrypter et à prendre en charge, récurrents, et pour lesquels la prise en charge atteint ses limites. Elle peut même engendrer des souffrances supplémentaires comme les conflits de loyauté, l’incompréhension et le rejet du placement.

Les origines multifactorielles de leur situation, les manifestations protéiformes (avec ou sans violence), augmentées par le manque de relais spécialisés (soins notamment mais pas seulement), l’absence de globalité de la prise en charge, et la nature des liens avec les parents, rendent leur prise en charge difficile voire impossible parfois. Le besoin d’exclusivité relationnelle, très fréquent chez certains de ces enfants est souvent incompatible avec la prise en charge de plusieurs enfants.

Les manifestations de leur mal-être sont très variables, et ne sont pas nécessairement de la violence physique. Il peut s’agir d’attitudes de repli voire de dépression. Ces manifestations sont souvent l’expression internalisée ou externalisée de vécus traumatiques.

C’est pourquoi il est indispensable de considérer les troubles du comportement comme une forme de communication d’un malaise, un symptôme à analyser et de ne pas les réduire à leur dimension comportementale, et de porter une attention particulière aux difficultés qui ne se voient pas -ou moins- mais qui sont tout autant préoccupantes (la compliance excessive, les enfants qui font illusion (« je vais bien, je n’ai besoin de rien »), les enfants dépressifs). La période de l’adolescence est d’autant plus sensible chez ces enfants « qui ne font pas de bruit » qu’il s’a- git d’une période au cours de laquelle le jeune revisite ses liens d’attachement. Les manifestations du mal-être sont alors difficilement compatibles avec les attendus de leur accompagnement en termes d’autonomie et d’insertion (marginalisation, tentatives de suicide, dépressions, consommation de drogue, mise en danger sur le plan sexuel etc.).

DES SCHÉMAS RELATIONNELS COMPLEXES

Les troubles de l’attachement constituent le point commun à toutes les situations complexes étudiées dans le cadre de ce travail. Ces enfants souffrent tous d’un trouble de la relation, à des degrés plus ou moins élevés selon ce qu’ils ont vécu et selon leur faculté de résilience. Ils ont tous un besoin d’exclusivité dans la relation et une prise en charge très individualisée ressort comme une nécessité pour tous, proche du « un pour un » pour un grand nombre d’entre eux.

Dans ces situations, le cadre éducatif proposé ne fait pas sens pour les enfants, et crée même un conflit de loyauté entre deux systèmes de référence : demander de m’attacher alors que j’ai été abandonné, de prendre soin des autres lorsque l’on n’a jamais pris soin de moi, de ne pas user de la violence alors que c’est le seul mode relationnel que j’ai connu et expérimenté, etc. Ce conflit de loyauté entre deux schémas de pensée difficilement compatibles constitue une forme de violence institutionnelle pour ces enfants et crée chez eux un conflit interne difficile à gérer.

Accéder à l’histoire familiale est donc indispensable pour décrypter les comportements des enfants et faire le lien avec ce qu’ils ont vécu (comprendre leur schéma de pensée, la construction de leur relation à l’Autre). Sans cette clé, certains comportements d’enfants sont incompréhensibles et relèvent de l’im- pensable.

Mais ce travail de décryptage et d’accompagnement de l’enfant dans son histoire familiale et d’attachement est souvent difficile à réaliser, notamment avec des parents qui entretiennent le conflit de loyauté. Il s’agit pourtant d’un préalable incontournable pour pouvoir travailler à l’élaboration de nouveaux schémas relationnels : s’intéresser à ce que l’enfant a construit de la représentation de lui-même, de l’estime de soi, et de la relation à l’Autre. Il ne peut se faire que dans le temps long, ce qui suppose d’éviter les ruptures de parcours et une solide articulation entre les différents acteurs qui gravitent autour de la famille.

DES PISTES POUR ACCOMPAGNER AUTREMENT

En faisant de cette thématique une des priorités de travail pour les années à venir, l’association fait l’hypothèse d’un double impact : une meilleure adaptation de l’accompagnement aux besoins de ces enfants et un soutien renforcé aux professionnels (formation, recrutement, diversification des réponses, amélioration des conditions de travail…).

MIEUX PRENDRE EN COMPTE

LE PSYCHO-TRAUMATISME ET SES CONSÉQUENCES

La problématique des enfants en situation complexe évoque très largement les situations d’enfants ayant vécu des traumatismes psychiques insuffisamment pris en compte dans l’accompagnement au quotidien : le repérage des troubles réactionnels à des évènements traumatiques est trop tardif et rarement adossé à un véritable diagnostic, l’accompagnement au quotidien n’est pas adapté (centré sur la gestion des manifestations comportementales, réactions inadaptées du fait d’une incompréhension du fonctionnement psychique de ces enfants, insuffisance du suivi psychologique), et la prise en charge relevant du soin fait souvent défaut (pénurie de pédopsychiatres dans de nombreux territoires, listes d’attente).

C’est pourquoi un renforcement de l’expertise des équipes autour du psycho-traumatisme a été initié dès 2020, associant la formation à la spécificité de la clinique de la maltraitance à destination des psychologues et au repérage du psycho-traumatisme dans la prise en charge dans un cadre pluridisciplinaire :

  • La procédure d’admission a été renforcée dans le sens d’un meilleur repérage du psycho-traumatisme;
  • En partenariat avec un pédopsychiatre, un outil d’observations croisées permettant une gestion coordonnée d’un parcours de soin et d’accompagnement thérapeutique pour chaque enfant a été créé. Il est expérimenté depuis 2021 dans tous les villages d’enfants ;

Dans le cadre de la mutualisation des connaissances et des outils proposés par la fédération internationale SOS Villages d’Enfants, un espace formatif sur le psycho-traumatisme et ses conséquences dans les relations et la prise en charge par les professionnels a vu le jour. Cet espace s’adresse à des non spécialistes tout en apportant des éléments d’information de qualité et des outils simples à utiliser au En 2021, l’association en a réalisé une traduction française pour en faire bénéficier l’ensemble de ses équipes sous forme de modules en ligne. Depuis la crise sanitaire, dans plusieurs villages d’enfants, un partenariat avec un pédopsychiatre est expérimenté pour la gestion des situations les plus complexes et les plus urgentes avec la réalisation d’une observation diagnostique accompagnée de préconisations pour la prise en charge tant éducative, psychologique qu’en termes de soins. Ce regard médical externe est une réelle avancée dans la prise en charge des enfants et fait guidance pour les professionnels. Toutefois, la difficulté à concrétiser ces préconisations du fait de l’offre de soins disponible, mais également de la réticence de certains praticiens à suivre les recommandations d’un pédopsychiatre qui n’était jusqu’alors pas impliqué dans la prise en charge constituent des freins à lever. Enfin, pour mieux répondre aux besoins spécifiques des enfants ayant subi des violences sexuelles, l’association a développé un partenariat avec le Centre des Buttes Chaumont pour former l’ensemble de ses équipes au repérage et à la prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles. L’approche est développée autour de trois axes : les procédures pénales et internes à actionner, l’accompagnement éducatif et la prise en charge thérapeutique. Les fondements cliniques sont ceux de la thérapie familiale systémique permettant une approche globale des inter- actions en jeu.

OFFRIR DES ESPACES DE RESSOURCEMENT ET DE RÉPIT AUX ENFANTS EN SITUATION COMPLEXE

Parallèlement à une montée en compétence sur le repérage des situations complexes, du psycho-traumatisme et de ses conséquences, l’association a mis la priorité sur la diversification des modes d’accompagnement pour sortir des logiques strictement sanitaires et favoriser une approche fondée sur le bien- être entendu au sens de l’OMS(2). Dans le cadre de son programme « Accompagner Autrement », l’association soutient le développement au sein de ses établissements d’interventions tournées vers le bien- être comme la médiation artistique, la médiation animale, la médiation par le sport, et le développement de l’approche Snoezelen qui permet d’offrir un espace de relâchement et de réduction des tensions dans une perspective de sécurité psycho-corporelle. L’association développe actuellement des accueils externalisés mobilisables à tout moment comme l’accueil-relais pour éviter les ruptures de prise en charge et expérimente les séjours de répit éducatif visant le « pas de côté» et le ressourcement dans une perspective thérapeutique.

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Certains enfants accueillis en protection de l’enfance se trouvent plus en difficulté que d’autres du fait de troubles psychiques importants liés à des vécus traumatiques qui s’aggravent souvent faute de prise en charge adaptée. L’impact de ces vécus sur leur santé, leur scolarité et plus largement de leur bien-être est important.

Le défaut d’offre de soins pour ces enfants est une piste qu’il est urgent de travailler à l’échelle des politiques publiques. Pour autant, l’action éducative demeure pertinente. Mais elle ne peut constituer le seul levier. Ses effets restent en effet trop souvent limités au regard des besoins spécifiques de ces enfants et en l’absence d’une approche dynamique associant dimension thérapeutique et dimension éducative.

1 Si les enfants accueillis dans nos structures sont par définition tous en souffrance, certains psychologues évoquent une différence notable avec ce public en termes de mise en place de mécanismes de défense face à la difficulté et l’adversité.

2 La santé telle que définie par l’OMS depuis 1946, désigne « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette approche positive et ambitieuse de la santé résulte d’une rencontre de l’individu avec son environnement. Elle invite à sortir des logiques segmentées et strictement sanitaires, pour développer un éco-système bienveillant autour de la personne.