En début d’année, Flore Capelier a été nommée directrice de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE). Elle nous présente ses ambitions et ses priorités à l’heure où la loi relative à la protection des enfants, dite Loi Taquet, a été promulguée et que le Groupement d’intérêt public Enfance en Danger voit son organisation modifiée.

Propos recueillis par Olivier VAN CAEMERBEKE

 

Le BPE : Pouvez-vous présenter votre parcours ?

Flore Capelier : Je me suis passionnée par le sujet des droits de l’enfant dès mes premières années d’étude en droit. J’ai fait un doctorat sur la question de la protection de l’enfance qui était alors une des premières thèses en France soutenue en Droit Public. Ce travail de recherche s’intéresse à la protection de l’enfance comme politique publique et aux tensions qui existent dans ce domaine entre les droits des enfants, le respect de l’autorité parentale et la poursuite de l’intérêt général par des services publics en grande partie décentralisés. J’ai fait cette thèse dans le cadre d’une convention entre l’agence nationale de la Recherche et le département du Val-de-Marne. Depuis, j’ai gardé des activités de recherche en tant que membre associée au Centre de recherche de science administrative de l’Université Paris 2 et à l’Institut de Sciences politiques de l’École normale supérieure de Cachan. J’ai également poursuivi des missions d’enseignement, en Licence et en Master, et plus occasionnellement dans des écoles en travail social (ndlr : dont l’Ecole de la Protection de l’Enfance). En parallèle, j’ai eu une carrière en tant qu’inspectrice de l’aide sociale à l’enfance dans le Val- de-Marne, puis j’ai occupé un poste de chargée d’études à l’Observatoire national de protection de l’enfance, service que je suis ravie de diriger aujourd’hui. Avant de prendre cette direction, j’ai été conseillère Protection de l’enfance à la Ville de Paris dans le cabinet politique de Dominique Versini, avant de devenir responsable de l’Observatoire parisien de la protection de l’enfance.

Le BPE : Forte de ces expériences, constatez-vous un intérêt croissant de la part des acteurs publics et poli- tiques sur la question des droits et de la protection de l’enfant ?

  1. C : Incontestablement le sujet est de plus en plus présent dans l’actualité politique. Les différentes lois récemment promulguées témoignent de cet intérêt : il en est ainsi de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, mais aussi de la loi du 21 février 2022 réformant l’adoption, ou encore de la loi du 2 mars 2022 sur le harcèlement scolaire… Dans le même temps, le gouvernement a adopté de nombreux plans : la stratégie nationale de protection de l’enfance, le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, le premier plan national contre la prostitution des mineurs… Ce qui est important pour l’Observatoire, c’est le croisement des regards autour de la protection de l’enfance et plus largement des droits de l’enfant. Il est essentiel que ces différentes politiques soient alimentées par la recherche, par des connaissances validées scientifiquement, mais aussi, dans le même temps, que ne soient pas oubliées les réalités vécues aux quotidiens par les enfants, les familles et les professionnels. Ces réalités, ce sont les initiatives pertinentes menées à un niveau local comme national, mais aussi l’identification des difficultés, des freins et des leviers constatés dans la mise en Å“uvre effective des droits des enfants, et des familles.

Le BPE : Nous avons souvent eu l’occasion de dénoncer “l’ASE Bashing” de la part de certains grands médias. Quel regard portez-vous sur cette tendance à condamner tout un système en en pointant quelques dérives, aussi inexcusables soient-elles ?

  1. C : Oui, il y a une vraie hétérogénéité sur la manière dont on parle de la protection de l’enfance. Les acteurs de la protection de l’enfance se préoccupent bien sûr de la façon dont ils peuvent communiquer positivement sur leurs missions en mettant en avant les belles réussites. L’ exposition de l’association Repairs! à l’Hôtel de Ville de Paris l’an passé sur les parcours d’enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ndlr : également présentée aux Assises de la Protection de l’Enfance 2022) était une manière de donner à voir autrement ces jeunes si souvent caricaturés. Il ne faut évidemment pas occulter les faits divers qu’évoquent les médias, car ils posent la question d’un nécessaire travail pour sécuriser les accueils, les accompagnements et le besoin d’améliorer constamment les réponses apportées aux enfants et aux familles concernées. Mais il faut aussi pouvoir montrer, en bénéficiant d’un portage politique fort (ce qui n’est pas toujours simple à obtenir), l’ensemble des actions menées au quotidien par les professionnels et qui ont des effets bénéfiques et tangibles sur les enfants protégés comme sur leurs familles. Les politiques de prévention et de soutien à la parentalité sont des sujets qui sont très peu abordés par les médias. Pourtant toutes les études montrent qu’un accompagnement à la parentalité précoce peut être particulièrement bénéfique pour le développement de l’enfant. Il en est de même du besoin de prévenir la discontinuité de parcours des enfants qui seraient durablement confiés au service de l’aide sociale à l’enfance (l’ONPE travaille d’ailleurs actuellement sur une étude dédiée à la situation de ces enfants concernés par des “suppléances parentales longues”).

Le BPE : La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants (dite « Loi Taquet ») a modifié l’organisation du groupement d’intérêt public Enfance en Danger (Giped). Que cela va-t-il changer ?

F. C : En effet, le GIPED actuel est constitué de l’ONPE et du Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (ndlr : Le numéro national d’urgence 119). Demain, par la loi, s’y adjoindront, l’Agence française de l’adoption (AFA), le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP) et le secrétariat général du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Le fonctionnement de ce nouveau GIP reste paritaire et il conserve un conseil d’administration présidé par un président de conseil départemental (actuellement Florence Dabin, présidente du conseil départemental du Maine-et-Loire), ce dont je me réjouis. Nous concernant, l’ONPE produit des connaissances, les diffuse et accompagne les pratiques professionnelles territoriales, la loi lui donne pour mission d’animer le centre de ressources national. Nous nous attacherons dans les mois qui viennent à conserver l’identité de l’Observatoire, au croisement des pratiques et de la recherche, dans ce nouveau GIP tel que créé en 2004, sous l’influence de Paul Durning, professeur en sciences de l’éducation. Les études menées par l’Observatoire comme les recherches soutenues par son conseil scientifique nécessitent un temps long et des méthodes pointues qui garantissent la scientificité des connaissances produites en protection de l’enfance. En parallèle, nous devons pouvoir répondre de manière réactive aux demandes des départements, et c’est ce que nous cherchons à faire avec le réseau des ODPE que nous animons et les interventions nombreuses que nous réalisons au niveau local. Notre principal enjeu est de faire le lien entre ces recherches fondamentales et les pratiques de terrain, en diffusant largement les connaissances, mais aussi en faisant remonter les besoins des différents acteurs. Cet aller-retour est aussi riche qu’unique. À ma connaissance, il n’existe pas d’équivalent en Europe. Pour revenir à votre question, cette loi acte égale- ment un élargissement du périmètre d’observation de l’ONPE en étendant ces compétences, comme celle du nouveau GIP, à l’adoption et aux origines personnelles. Cela nous ouvre de nouvelles perspectives de travail à condition bien sûr que les moyens suivent pour créer, puis faire vivre, ce Centre national de ressources. Ces moyens financiers nous ont été promis par l’État, mais ce texte, adopté en février, n’était pas inscrit dans la loi de finances 2022. Nous attendons avec impatience de voir si la loi de finances 2023 intégrera bien, comme annoncé, des moyens supplémentaires. Jusqu’alors les départements finançaient à parts égales avec l’État, l’ONPE et Snated, ils seront donc demain invités à cofinancer aussi l’activité du CNAOP, du CNPE et de l’AFA, antérieurement financé exclusivement par l’État. Comme évoqué lors des débats parlementaires, la question des moyens alloués pour mettre en œuvre les nouvel- les dispositions adoptées par le législateur sera donc déterminante, aussi bien pour les départements que pour le nouveau GIP.

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