LA THÉORIE DE L’ATTACHEMENT COMME GRILLE DE LECTURE ET DACTIONS

Le docteur Anne Raynaud est psychiatre et fondatrice de l’Institut de la Parentalité. Elle est aussi l’auteure notamment de “Enfant sécurisé, enfant heureux. Éduquer au quotidien grâce au lien d’attachement, paru aux éditions Marabout en 2021.

Soucieuse, dit-elle, de comprendre ce qui se joue au-delà la partie immergée de l’iceberg de ces manifestations, elle a “trouvé dans la théorie de l’attachement un certain nombre de réponses. Celle-ci n’explique pas tout, mais elle est une voie pour mettre en œuvre le méta besoin de sécurité qu’a présenté Marie-Paule Martin Blachais.”

Anne Raynaud invite à bannir les lectures trop simplificatrices de l’individu… ce qui suppose de savoir décoder ces troubles du comportement. “Bien sûr, ces comportements perturbent, désorganisent, gâchent les relations et viennent démolir des choses qui ont déjà été construites… Lorsqu’on y est confronté, ils nous inquiètent, nous émeuvent, mais ils peuvent aussi nous informer et nous éclairer.”

L’experte illustre l’application de la grille de lecture avec trois situations cliniques emblématiques de ce que rencontrent les professionnels dans leur quotidien.

Premier exemple : Tom, 7 ans Tom a 7 ans, vient en consultation pour “agitation”. Il a un comporte- ment provocateur, agressif envers lui-même comme envers les autres. Plus il avance en âge et plus il est compliqué de les contrôler. À l’école il fait preuve d’agitation, d’agressivité et se désengage des activités scolaires. Sa vie a été marquée par une séparation parentale précoce, un conflit parental durable et une garde alternée. Malgré des violences intrafamiliales Tom n’a pas été confié à l’ASE.

Deuxième exemple : Mélina, 3 ans et demi, consulte pour un retard de langage. Très silencieuse et très aidante pour sa maman, c’est une fillette presque transparente à l’école. Elle a peu d’intérêt pour les apprentissages, manifeste peu d’intérêt pour les jeux et pour les autres activités. Elle est la quatrième d’une fratrie d’une famille monoparentale.

Troisième exemple : Timéo, 10 ans, consulte pour des troubles oppositionnels et provocateurs. Après des échecs de placement dans différentes familles d’accueil, il a été confié à une MECS. Ne tolérant aucune consigne, il a des attitudes sexualisées avec ses pairs et souffre d’un retard majeur dans ses apprentissages. Tom et le troisième d’une fratrie où tous les enfants ont été confiés à l’ASE. Il est depuis toujours dans un parcours de protection de l’enfance : pouponnière, famille relais, puis en famille d’accueil qu’il a rapidement désorganisé. Il en a donc changé avant d’être confié en MECS. Tom bénéficie de nombreuses visites avec ses parents (séparés) qui font l’objet de plainte pénale en cours pour maltraitance sur les enfants.

DES SYSTÈMES MOTIVATIONNELS CRUCIAUX

À partir de ces trois situations, Anne Raynaud développe la théorie de l’attachement en prévenant que la connaître ne signifie pas tout savoir “de la dimension psychique et psycho- pathologique d’un individu. C’est avant tout une théorie de la relation qui doit s’inscrire dans une lecture intégrative du développement de l’individu. Citant le travail de John Bowlby et sa rigueur scientifique Anne Raynaud précise : “Lorsque l’on vient au monde, nous arrivons équipés de systèmes motivationnels. Ceux-ci sont comme une boîte à outils grâce auxquels on va rentrer en relation, nous développer et surtout survivre”. Ce sont donc des systèmes motivationnels génétiquement programmés. Il s’agit des systèmes d’attachement, de Care Giving, et d’exploration.

Le système d’attachement est un système d’alarme. “Pour avoir et parler d’un attachement in-formé”, il faut être dans un contexte de stress, d’alarme, de détresse. Des situations qui nous font activer notre son système d’attachement. Nous perdons alors notre équilibre émotionnel, mais aussi parfois notre équilibre somatique.”

Anne Raynaud précise que la plu- part des enfants du champ de la protection ont leur système d’attachement activé en permanence à cause des audiences chez le juge répétées chaque année, les visites médiatisées chaque semaine, les ruptures itératives…Mais ajoute que les professionnels ont, eux aussi, leurs propres systèmes d’attachement activés lorsqu’ils sont soumis à des organisations ou des mauvaises organisations, qu’ils perçoivent comme des sources de menaces. Or, dit-elle, sans ce système d’attachement, on ne peut pas construire des liens d’attachement. Et ceux-ci se bâtissent uniquement par l’individu en détresse vers celui qui apporte du réconfort et les protections. “Celui-ci vient apporter protection, réconfort, proximité, et surtout éteindre ce système d’alarme qui est nécessaire pour retrouver son équilibre émotionnel. C’est vers elle que l’on va se tourner en cas de détresse pour lui témoigner de nos besoins d’attachement c’est-à-dire mon besoin de sécurité de proximité et de réconfort.” Elle rappelle que nous avons tous vécu un éloignement d’avec nos figures de proximité lors du premier confinement lié au Covid-19 et que nous avons alors perçu à quel point il pouvait être difficile à vivre.

Le système d’exploration

Il est lié au fait que pour survivre dans un milieu, nous sommes contraints de savoir extraire de l’in- formation de ce qui se passe autour de nous. “C’est, par exemple, la manière dont je vais recevoir les apprentissages scolaires, la façon dont je vais rentrer en relation avec mes pairs, accueillir la relation d’aide, explorer mes émotions. C’est un système d’exploration majeur dans la compréhension de la théorie de l’attachement.

Le système de Care Giving Celui-ci s’active lorsque l’on perçoit la vulnérabilité de l’autre. C’est une sensibilité qui fait résonance avec la notion d’empathie. “Dans une attitude proactive, je vais prendre soin de cet autre pour éteindre son système d’attachement. Dans notre cas, ce système de Care Giving est celui qui fait nos fonctions professionnelles.”

Si vous voulez lire la suite, abonnez-vous ou acheter le numéro 128-131du BPE, dans la boutique du BPE