La grande consultation du Défenseur des enfants a lieu cette année sur le thème de la confidentialité et de la vie privée des enfants. Chez Speak ! nous nous sommes penché.e.s sur le sujet, et avons réalisé qu’il est en en effet au centre de beaucoup de discussions concernant les enfants et qu’il recouvre de nombreuses problématiques différentes. Où commence et où finit leur vie privée ? Sommes- nous réellement conscients que les enfants, aussi, ont besoin d’intimité, de disposer de moments à eux, d’a- voir leur jardin secret ? Pour nous la réponse est : non, les adultes ne prennent pas assez en compte ces besoins d’intimité et de vie privée des enfants, et cela peut occasionner des dégâts : absence d’expériences, défaut de prévention, manque de confiance en soi, …. Nier la vie privée des enfants, c’est sans doute nier tout un champ de leur individualité, et presque, d’une certaine manière, les considérer comme des êtres “inférieurs”.

QU’EN EST-IL DES ENFANTS CONFIÉS À L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE ?

Pour le moment, chez SPEAK!, la majeure partie des enfants que nous accompagnons sont confiés à l’ASE.

Nous avons donc recueilli leur avis sur la question de la confidentialité et de la vie privée, et voici ce qui ressort le plus : “J’ai l’impression de n’être que mon dossier. Les éducs connaissent toute ma vie avant même que je ne leur raconte. C’est comme si j’avais une étiquette sur le front. Je n’ai aucune intimité”. La jeune qui nous a fait part de cela relève ici un des problèmes les plus complexes de la protection de l’enfance : le dossier. Qui peut lire le dossier ? Que fait-on des informations ? Comment les exploiter sans nuire au bien-être de l’enfant ou encore à son droit à la vie privée ? Cette question est très complexe car d’un côté il y a un besoin légitime des travailleurs sociaux de connaitre les problématiques des jeunes pour mieux les accompagner, et de l’autre, il y a de nombreux jeunes confiés qui disent souffrir de la circulation de leurs informations personnelles auprès de personnes qu’ils n’ont pas choisi et avec lesquelles ils n’ont pas de lien, pas de proximité, pas d’affection. Comment faire confiance, donc, lorsque leurs informations circulent aussi facilement ? Comment garder une part de vie privée quand notre vie est écrite dans un dossier ? Un vrai travail de réflexion des institutions et des professionnels devrait être mené sur ces problématiques.

Un autre jeune nous a parlé de son sentiment de ne pas parvenir à s’insérer dans la société du fait de son statut “d’enfant placé”, qui le stigmatise. En effet, lorsque dans le cadre scolaire il est amené à devoir évoquer ses éducateurs ou son lieu de vie “hors normes” pour les enfants vivant dans leur famille, il vit très mal le regard des autres sur lui et se sent comme « un ovni » dans son lycée. Les enfants confiés sont nombreux à souffrir d’être “rangés” dans une “case” qui les renvoie à toute la souffrance que représente déjà leur placement.

Lors d’une de nos commissions jeunes, avec les jeunes d’une MECS de Dijon, ces derniers nous ont fait part du manque d’intimité qu’ils éprouvaient du fait de la vie en collectivité. Ils ne se sentent pas vraiment chez eux dans leur MECS. Si le fait de n’avoir pas voix au chapitre dans l’aménagement ou la décoration de leur lieu de vie participe de ce sentiment, ce qui pose souvent problème est le partage des chambres. Pour eux, être deux par chambre est souvent assez difficile à vivre, car ils aimeraient parfois pouvoir se retrouver seuls avec leurs émotions, leur vie d’adolescent.e.s, tout simplement. Le regard des autres est toujours extrêmement présent dans la vie des jeunes confiés, et cela leur pèse beaucoup au quotidien. Enfin, nous voulions insister sur le fait que les jeunes nous parlent sou- vent du « flicage » dont ils se sentent victimes de la part du système. En effet, pour ceux qui sont en placement judiciaire, ils ressentent une grande difficulté face au besoin de faire des demandes pour ne serait- ce qu’aller dormir chez un ami. Ils ont l’impression que tous leurs faits et gestes sont épiés, et qu’à cause de cela, ils n’auront jamais une vie normale. Une jeune que nous accompagnions au début de notre activité nous a même confié au détour d’une conversation : “C’est fou parce que quoi que je fasse, j’ai toujours cette impression que si je fais un pas de travers, le juge le saura. Alors que ça fait deux ans que je suis majeure !!”. Nous voyions bien comment cette jeune a été marquée par cette injonction à rendre des comptes. De la protection de l’enfance, à notre sens, il en faut. Mais la surprotection de l’enfance est parfois plus violente qu’efficace. Les enfants confiés ne sont pas différents de autres enfants, ils ont juste besoin qu’on leur fasse un peu plus confiance. ■

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